Beach Rock, 2018, 3 min 24 s Road Rock, 2018, 8 min 38 s Industrial Rock, 2018, 12 min 15 s Trunk Rock, 2019, 8 min 58 s River Rock, 2019, 3 min 32 s Forest Rock, 2020, 7 min 50 s
Quinze fois, Jessica Slipp s’est muée en rocher. Figure mutique, en osmose avec des paysages côtiers, industriels, forestiers, elle s’est placée là, au centre du cadre pour mieux se fondre dans les différents territoires explorés lentement. L’Anthropocène, qu’on le veuille ou non, impose l’humanité au centre du système naturel terrestre. En se fondant dans l’impression photographique d’une roche, Jessica Slipp opère, avec toute l’humilité et le dénuement de son geste, une fusion délicatement humaine. Elle se détache de son enveloppe et endosse une minéralité touchante qui n’est pas sans rappeler les performances d’Ana Mendieta. Le subjectif entre ainsi au cœur du scientifique, d’une appréhension raisonnée, suivant le protocole répété plus d’une dizaine de fois, comme pour vérifier une probité qui échappe au discours. Le camouflage ne prétend pas à la perfection, mais il est suffisamment crédible pour que le corps de l’artiste se fasse oublier dans cette appropriation de la matière. Repli sur soi ou expansion minérale, l’œuvre ouverte de Jessica Slipp, doucement absurde, affirme un imaginaire de la métamorphose ambigu. Recherches scientifique et philosophique enrichissent le Vivant d’une sensibilité de plus en plus nuancée, jusqu’à un sensible minéral peut-être. Après Vinciane Despret, dont les travaux amènent à penser comme et avec les rats pour une meilleure compréhension du vivant (Penser comme un rat, 2009), Jessica Slipp invite depuis à se glisser dans la psyché des roches, pour mieux penser comme et avec elles.